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mardi 12 mars 2013

Un album, une histoire - Chapitre 7: BBC Sessions


Ma grand mère paternelle disait souvent un truc du style: "Quand on a beaucoup souffert dans sa vie, on devient souvent une belle personne, parce qu'on a des histoires à raconter et qu'elles font de nous des gens meilleurs." Ma mère, elle, a toujours pensé que c'était des conneries. Les sentiments, pfft! Encore un truc de blancs, tiens. Ce qui est drôle quand on sait que ma mère est une mulâtresse d'à peine 46 ans. Bah ouais, paye tes contradictions dans ma famille.

Je ne suis pas ici pour faire et refaire l'histoire de ma vie parce que même si j'ai beaucoup de choses à dire sur mes presque 24 années passées ici bas, je considère que ce n'est pas l'endroit. Non, ici on est là pour parler musique. Vraie musique, bonne musique. Mais parfois, tu tombes sur des textes et t'es là, complètement hébétée, un peu sonnée aussi parce que tu ne sais pas quoi répondre, sauf peut-être: "Je connais, moi aussi j'ai vécu ça..." ou sa variante la plus chaleureuse "Tu t'en es pas trop mal tiré(e), j'envie ton courage". C'est un peu ce que j'ai eu envie de dire à Julia, alias Elsiya sur Twitter, dont son texte sur les "BBC Sessions" de Led Zeppelin m'a littéralement chamboulée. C'est dingue de voir que quelque part ailleurs, tu as des gens, qui ne te connaissent ni d'Adam ni d'Eve et qui pourtant vivent les mêmes choses que toi quand tu passes un skeud, qu'ils ont les mêmes frissons aux mêmes instants et là, tu te dis que t'es pas tout(e) seul(e) et que, bordel de merde, on vit quand même dans un monde formidable...

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Nom: Julia
Alias: Elsiya
Signe astrologique: Ici ascendant ailleurs...
Album choisi: The BBC Sessions - Led Zeppelin (1997)


"L’histoire commence ailleurs. Comme beaucoup d’histoires, elle est une succession de moments, d’impressions, biaisées par mon regard. Aujourd’hui, je te parle de mon histoire avec les BBC Sessions de Led Zeppelin. Et mon histoire avec cet album commence avant. 

J’ai quatre ans. Papa quitte la maison, maman est dévastée et elle écoute en boucle "Dazed and Confused". Je ne me rappelle pas de grand-chose, juste de ces notes presque douloureuses. C’est le début de mon histoire d’amour avec Led Zeppelin, J’ai quatre ans.

J’ai sept ans. Après avoir passé quelques années à Londres, mon père m’annonce qu’il a rencontré quelqu’un. Qu’il est heureux. Qu’ils vont s’installer, tous les deux. En Afrique du Sud. Un autre continent, beaucoup plus vaste, et dans ma tête de gamine, c’est un peu comme si il partait de la planète. Jusqu’à présent, ça a toujours été facile, tu vois. Il suffisait de sauter dans un avion, une heure de vol et j’pouvais presque prétendre que ça allait. Au même moment, sortent les BBC Sessions. Mon paternel, en bon fan, se précipite et me fait une copie sur une vieille cassette. 

La cassette tourne en boucle. Comme toutes les cassettes qu’il m’a données. Je suis jeune, beaucoup trop jeune pour apprécier toutes les dimensions de ces enregistrements, mais n’empêche. J’en suis quand même sacrément amoureuse de cette cassette. Et je grandis.

J’ai treize ans. Je suis mal dans ma peau, comme tous les adolescents de treize ans. Un physique disgracieux, une tendance maladroite à l’ouvrir quand il ne faut pas, quelque chose à prouver au monde entier,  à commencer par mon père. Ma mère inonde ma vie de douceur, fait tout pour que la vie soit agréable et facile. Le voisin me fait peur, à toujours nous regarder au travers des rideaux. Je voudrais parfois disparaitre si fort, je voudrais parfois crier que j’existe, je suis bloquée entre les lapins et les clous. Je suis une ado, avec un père loin et absent.

Je retombe amoureuse de Robert Plant, John Paul Jones, Jimmy Page et John Bonham. Je me plonge dans leurs notes quand je trouve les nuits trop bruyantes. À l’époque où je découvre The Doors, The Ramones, Jefferson Airplane et Jimi Hendrix, où je me les approprie, je les engloutie, il y a toujours, dans le fond de mes oreilles, collé franchement au cerveau, le Travelling Riverside Blues, avec ses riffs bien calés et ses sonorités de vieux sud qu’on oublie. 

J’ai dix-sept ans, je suis révoltée contre le monde qui m’entoure, contre toute cette violence, contre toute cette haine. Une fleur entre les dents, les poings fermés, je monte sur mes premières barricades. Je vais voir mon père à Noël, mais je sais qu’il devra travailler encore, et que je n’oserais pas, encore une fois, lui dire, ce que j’en pense, moi, de son travail, de ses sous, de sa maison. J’ai tellement de rêves dans la tête. Je suis amoureuse. Je me construis. Je hurle Whole Lotta Love. Et je me perds dans la version des BBC Sessions parce qu’elle me fait voyager, bien au-delà de l’Afrique du Sud. J’y reviens encore, Led Zeppelin, les BBC Sessions. Je refais le monde en les écoutant. 

J’ai vingt-et-un ans. Je me reconstruis après une rupture douloureuse, beaucoup de merdes en trois ans d’une histoire cassée d’avance. Je suis un peu brisée, j’ai juste envie d’arrêter de souffrir. Je me jure de ne plus jamais ressentir. Je me jure de changer.  Alors, je me concentre sur mes études, j’oublie tout ce qu’il peut y avoir à côté. Fini les garçons, fini les filles, je serais une carrière ou je ne serais pas.

Et Robert Plant hurle Immigrant Song dans mes oreilles, à longueur de nuits de révisions. Pendant que je m’arrache pour rattraper deux ans de savoir théorique, Jimmy Page me tient par les tripes avec Black Dog, pendant que j’oublie le mien, de chien noir. 

J’ai vingt-quatre ans. J’ai réussi à arracher la fierté des lèvres de mon père. Je suis gonflée par cette satisfaction d’avoir réussi quelque chose, d’atteindre enfin l’un de mes objectifs. Je vis avec mon meilleur ami, y’a des hauts et des bas, mais ça va. J’ai renoué avec l’envie d’aimer. Sur Going to California, je m’envole vers d’autres horizons, les Pays Bas, un nouveau projet, une nouvelle vie, de nouveaux amis. 

Avec mes pas vacillants et mes jeans trop grands, j’arrive dans cette vie un peu démesurée, que je ne comprends pas trop. Loin de ma famille, de mes amis, de mes repères, je m’invente une épreuve de quatre ans, dans l’espoir d’apprendre, encore, toujours. Mais tout ira bien, j’ai les notes de Jimmy Page. Et je me trouve. Encore. 

J’ai presque vingt-sept ans. Deux ans et demi ont passé depuis que je suis arrivée ici. Il y a eu des larmes, des cris, des fous rires, des angoisses, des envies. J’explore, encore et toujours. Ma curiosité ne tarit toujours pas. J’ai grandi. Et je vois encore l’étendue de mon ignorance. J’ai réappris à aimer et à perdre. J’ai réappris à ne pas rejeter la douleur, sans pour autant la laisser m’envahir ou me freiner, sans m’y complaire ni la sublimer. J’écoute Since I’ve Been Loving You, et la voix de Robert Plant me fait encore vibrer et je suis en vie.

Je ne suis pas une pro de la musique, mais si je dois retenir un album, un seul, c’est celui-ci. Il m’a accompagnée, toujours. Inspirée, parfois. Ces enregistrements sont plus vieux que moi (issus de deux sessions, 1969 et 1971), un cadeau de la part de Led Zeppelin, aux fans, avec un son tellement plus intimiste que les albums studios ou les lives. Il m’a fait voyager quand je croyais être bloquée. Il a toujours été présent, toile de fond musicale, porteur et libérateur. Cet album, je crois qu’il me nourrit mieux que certaines lectures.

Et Robert Plant me murmure un voyage constant, un Stairway to Heaven."

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Si comme moi, ce texte vous a plu, je vous invite viiiiivement à m'envoyer votre texte à cette adresse mail avec comme objet "Un album, une histoire". Vous êtes de plus en plus nombreux à nous faire part de vos histoires musicales et cela me fait extrêmement plaisir. Encore merci à vous!
 
La semaine prochaine, Chris reviendra nous parler d'un album du Boss, le seul et unique, qu'il affectionne et que j'ai aussi appris à affectionner avec le temps (bah oui, j'ai mis longtemps à connaître la disco de Bruce Springsteen, personne n'est parfait... sauf vous peut-être)

2 commentaires:

  1. Il est vraiment chouette ce texte, et m'a donné envie de réécouter ce double album que j'ai sans doute trop longtemps délaissé dans ma discothèque, lui préférant "The Song Remains The Same".

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  2. merci pour ce beau texte, merci pour ce partage d'un album et d'un bout de toi, merci à ce blog de nous permettre de faire ça. J'essuie quelques larmes et je conserve précieusement une de tes très belles phrases "J’ai réappris à aimer et à perdre. J’ai réappris à ne pas rejeter la douleur, sans pour autant la laisser m’envahir ou me freiner, sans m’y complaire ni la sublimer".

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